Il y a des gens que l’on connaît depuis toujours. Qui sont là, que l’on croise de loin en loin et qui sont des familiers.
On sait deux ou trois choses d’eux, ils savent deux ou trois choses de nous, nous les apprécions, nous avons de l’estime.
Et puis sans que l’on sache vraiment pourquoi ni comment, un événement survient et tout à coup, le rapport change. Dans ce cas précis, une sorte de proximité s’est installée presque d’elle même sans que je n’ai décidé quoi que ce soit. Maria-Luisa Rosati je la connais depuis plus de 30 ans. Elle est une amie de ma tante. Elle a 53 ans, mariée, elle a un fils. Il est médecin généraliste.
Maria-Luisa je la croise aux grandes occasions, aux fêtes de familles, aux passages de caps. La dernière fois que je la voit, c’est à un mariage. Celui de ma filleule. Je la trouve ravissante dans sa robe parme. Elle a l’air sereine, radieuse.
Nous sommes le 29 juin 2019.
Fin juillet, ma tante me demande si je suis au courant ?
– Au courant de quoi ?
– Maria ?
– Quoi Maria ?
Le 18 juillet 2019 suite à un scanner de l’abdomen, son médecin lui diagnostique un adénocarcinome du pancréas métastatique. Autrement dit un cancer du pancréas avec métastases. Stade 4. Les bras m’en tombent. Comment est-ce possible ?
Je lis un peu la littérature : ce type de cancer est souvent dépisté tardivement, se développe rapidement et est associé à un mauvais pronostic.
Je trouve cela terriblement injuste, et même si personne ne “mérite” cette foutue maladie, il y a des gens pour lesquels cela paraît encore plus inacceptable. Maria-Luisa en fait partie. Cette femme est une boule d’énergie. Quand Maria-Luisa est là, ce sont des rires à profusion, des éclats de voix et de la bonne humeur.
Je ne me souviens plus comment ni quand, mais je me retrouve dans sa cuisine avec ma tante, à siroter du café, et je suis là à l’écouter : elle va tordre le cou à cette saloperie. Ce n’est pas un souhait qu’elle formule, non. C’est une affirmation. Elle en est certaine, il ne peut pas en être autrement. D’emblée je la trouve courageuse. Loin d’être abattue, elle a une gnak d’enfer, ri, parle fort. Maria quoi ! Elle est sur le ring me dit-elle, elle a enfilé les gants, elle est prête et elle va cogner. Fort.
Elle est admirable.
Ses médecins lui ont donné 3 mois d’espérance de vie si elle ne tente rien. 9 mois à 1 an avec un traitement. Va pour le traitement. Ce sera le protocol Folfirinox. Avec une liste d’effets secondaires longue comme le bras. 7 mois de traitement plus tard, non seulement Maria-Luisa n’a eu aucun des effets annoncés, mais en plus la chimiothérapie est suspendue : nette régression de la masse caudale pancréatique. Disparition des implants péritonéaux. Pour faire bref : il n’y a plus rien à tuer dit en substance le dernier rapport. Plus de métastases. La tumeur est nécrosée.
L’oncologue qui la suit à l’institut Bordet lui confie qu’elle pourrait être la deuxième patiente qu’il connaît qui vivrait avec un cancer du pancréas de ce type. Maria-Luisa le corrige. Non elle ne sera pas une probabilité. Elle sera SA deuxième patiente.
Mme Rosati vise ni plus ni moins que la guérison.
Avant ce dernier rapport, une idée a germé dans mon esprit, faire témoigner Maria-Luisa et transmettre un peu de sa force et de cet indéfectible optimisme aux lectrices et aux lecteurs de dklikk, parce que peut-être qu’il y a quelqu’un qui peut en avoir besoin… Voici ses mots :
Un merveilleux début d’été. Mon fils unique termine ses études de médecine générale, il commence sa deuxième année d’assistanat, nous sommes alors au début du mois de juillet 2019. Lorsqu’un jour, me plaignant d’une petite douleur dans le bas du ventre, mon fils me fait faire une prise de sang et un examen urinaire. Deux jours plus tard, les résultats arrivent : ils sont parfaits. Aucune anomalie. La douleur ne partant pas, James décide de me faire faire un scanner abdo-pelvien. J’ai rendez-vous le 18 juillet à 16h15. Le jour où tout bascule. Je passe l’examen tout en confiance, lorsque 10 minutesaprès avoir quitté le service, mon téléphone sonne. Le médecin me demande de le rejoindre dans le couloir. Je ne te raconte pas l’effet de tonnerre que cela provoque parce que lorsqu’un médecin vous rappelle, ce n’est pas pour une rage de dents ! Tout mon corps se met à trembler, je me contrôle en restant malgré tout positive, mais tout se bouscule dans ma tête. En plus, je suis seule. J’arrive auprès du médecin, il me pose 1000 questions. Moi, pour ne pas m’écrouler, je m’appuie contre le mur qui me semble fait en ouate…
Lui : avez-vous maigri anormalement ?
Moi : non.
Lui : avez-vous du diabète ?
Moi : non.
Lui : avez-vous de fortes douleurs ?
Moi : non.
Lui : pour quelles raisons avez-vous passé cet examen ?
Moi : je lui explique la légère douleur dans le bas du ventre et du côté du colon, mais comme je suis souvent constipée, pas d’inquiétude.
Et puis, la question qui tue : qui est votre médecin généraliste?
Je lui répond sans hésitation : mon fils.
Je lui demande ce qu’il se passe. Il me répond que je dois voir avec mon fils, qu’il y a une anomalie au niveau du pancréas. Là, c’est la rupture avec le monde réel. J’avance tant bien que mal vers la sortie, je rentre dans ma voiture et là, je m’effondre en larmes. Je repense à une ancienne collègue, décédée en février 2019 d’un cancer du pancréas qui dura 3 mois… Imagine mon état d’esprit. Je téléphone à mon mari, il ne répond pas. Je téléphone à une collègue amie, qui m’avait demandé des nouvelles juste avant de passer cet examen, et là, en larmes, je n’arrive plus à parler. Elle me propose de venir me rejoindre, j’embraye le mode positif. Je la remercie de m’avoir écouté et lui promets de la tenir au courant. Je raccroche.
A 17 h, j’arrive chez moi, mon mari est rentré, il me demande comment s’est passé l’examen ? La gorge nouée, je lui dis que j’attends un appel de notre fils.
Le téléphone sonne. C’est lui. Mon fils James. Il me demande ce que m’a dit exactement l’autre médecin ? Je lui répète “une anomalie au pancréas”.
– Et bien maman, me dit-il, c’est une tumeur. Je prends rendez-vous à l’instant à l’institut Jules Bordet à Bruxelles auprès d’un oncologue digestif.
Je ne peux plus rien entendre. Je donne le téléphone à mon mari, je m’en vais me réfugier dans ma chambre, je m’écroule. A ce moment précis, je me dis que je vais mourir à 53 ans…
Le soir même, mon fils est venu me voir à la maison, il a compris que je suis au plus mal. Il essaye de me rassurer en me disant d’attendre ce que dira l’oncologue et, dit-il, nous agirons en conséquence. Vendredi matin, tout s’enchaîne : r.d.v pris lundi matin à Bruxelles. Mon fils m’accompagnera en tant que médecin. Entre-temps, du jeudi 18 au samedi 20 juillet, plus une parole ne sort de la bouche de mon mari. Moi essayant de retenir mes lames et essayant d’afficher un autre visage, lui, complètement refermé sur lui-même. Je le prends dans mes bras pour le consoler, je lui dit que je vais avoir besoin de lui plus que jamais… Nous nous effondrons tous les deux, il est en colère :
“Ne pouvions-nous pas être tranquilles ?” me demande-t-il. “Nous allions nous retrouver à nouveau tous les deux, nous allions pouvoir profiter de la vie juste nous deux…”.
Ce soir là, nous étions invités chez des amis pour un barbecue. C’est l’été. J’hésite à y aller. Mais une petite voix me dit le contraire. Donc, nous voilà, mon mari et moi partis à la fête. Je préviens nos amis de la situation. Mon ami me présente alors à sa belle-mère, qui, me dit-il, vit avec un cancer depuis 13 ans alors qu’au moment du diagnostic les médecins lui prédisaient une durée de vie de plus ou moins 6 mois. Cette dame, à cette époque, décide de prendre un deuxième avis à l’institut Bordet. Elle et moi entamons une longue discussion qu’elle débute en me conseillant de rester positive et de me battre, comme elle le fait depuis 13 ans, avec le sourire, “et je gagne !” me dit-elle.
Après cette conversation, et une fois rentrée chez moi, je me suis remise en question. La première chose qui me vient à l’esprit, c’est que je veux vivre. Je veux voir naître et grandir mes petits-enfants, car ma maman n’a pas eu cette chance, elle est décédée d’un cancer à l’âge de 40 ans, il y a 37 ans. Il est hors de questions que je baisse les bras!
Nous voilà le lundi à mon r.d.v à l’institut Bordet. L’oncologue m’explique les différentes possibilités par rapport à ce cancer du pancréas :
1er stade : l’opération et ensuite la chimio. Dans 90% des cas, c’est l’adénocarcinome du pancréas métastatique. Très peu d’espoirs de guérison.
Les examens s’enchaînent : la résonance magnétique (qui dure 30 minutes), dans un appareil qui fait beaucoup de bruit, et il vaut mieux ne pas être claustrophobe. Le pet-scan : cet examen est plus long, on m’injecte du glucose radioactif pour pouvoir voir les métastases. Et enfin, le scanner du poumon.
Le vendredi suivant, le diagnostic précis tombe : je suis dans les 90% des cas, tumeur de 89 mm à la queue du pancréas, métastases au rein gauche, à la rate, à l’estomac, à la paroi pelvienne et 2 ganglions sont touchés.
C’est le choc.
J’ai demandé au médecin de me dire absolument tout. Si je ne fait rien, durée de vie : 3 mois. Il me propose une chimio avec 2 produits et enfin, une troisième possibilité, que l’oncologue me conseille vivement, puisque paradoxalement, mon état général est excellent: la Folfirinox, qui s’avère très efficace, mais avec beaucoup d’effets secondaires parce qu’il y a 3 produits qui sont administrés.
Je lui demande quelle pourrait être mon espérance de vie dans ce cas?
“1 an ou plus…”
Allons-y je lui rétorque, c’est toujours mieux que 3 mois!
J’ai, par le passé, accompagné trois amis très chers tous décédés des suites de cancers. Et là, c’est moi qui suis de l’autre côté, je suis la malade. Alors ce sera pareil, je serai la malade mais aussi, je serai celle qui accompagne la malade. C’est d’ailleurs grâce à ça que j’oublie souvent la maladie.
Le vendredi suivant, je suis hospitalisée 3 jours pour recevoir la première chimio en intraveineuse pour ne pas perdre de temps. J’ai conditionné mon esprit à être à 100% positif. À la première chimio, une fois que l’aiguille a été plantée dans ma veine, je lui ai parlé : “vas-y fonce, fais ton travail, tue les mauvaises cellules, et aussi ne me rend pas malade… Je tolère un peu de fatigue, c’est tout.”
À dater de ce jour, plus rien n’a d’importance : ni le boulot que j’exerçais depuis 37 ans, ni la maison (alors que je suis de nature maniaque), ni les bêtises qui nous pourrissent la vie de tous les jours : le trafic, la voiture qui roule à 2 à l’heure alors que je suis pressée, le stress: vite, vite, vite, je n’ai pas le temps… Et puis un jour, tous les compteurs se mettent à zéro alors que je n’ai rien demandé. Et c’est là que j’ai appris à vivre autrement.
J’existe.
Remise en question totale.
Prendre le temps de faire des choses qui font du bien et qui sont plus importantes que le matériel, par exemple, qu’est-ce que ça me fait de sauter une semaine de nettoyage pour profiter des choses qui font du bien, en famille ou entre amis ? Oublier cette phrase : “pas le temps” parce qu’un jour, on vous force à prendre conscience de ce temps, depuis, pour passer le temps (parce que être inactive après 37 ans de service, c’est parfois dur), et grâce à une amie qui est en rémission depuis 4 ans, j’assiste à des groupes paroles, je fais du dessin. Là, par exemple, j’ai découvert une passion, je prends des cours de couture, activité dont j’avais très envie auparavant, mais que je n’avais jamais pris le temps de faire… En fin de compte, j’ai pris le positif de cette mauvaise nouvelle.
Après réception du premier rapport médical, la première question que j’ai posé à James est de savoir si lui, en tant que médecin traitant, était prêt à me suivre et à me soutenir mais aussi en tant que mon fils (pour avoir vu ma maman partir d’un cancer, je sais à quel point cela était difficile à vivre).
Et il m’a dit oui. Oui, je serai ton médecin. Et oui, je serai toujours là.
Nous avons entamé une conversation où nous avons évoqué tout ce qui pourrait arriver, nous avons parlé de ma mort. Je lui ai fait seulement promettre de ne pas me laisser souffrir, en premier pour moi, et aussi pour ceux qui restent. Avec mon mari, je ne peux pas parler de tout ça. Pour Toma, c’est “non! Tu vas guérir.” Il ne veux même pas évoquer le fait que je ne puisse pas y arriver. Donc, ma seule échappatoire était de me tourner vers mon fils unique. Je devais être sûr qu’il était, lui, prêt à entendre ce que j’avais à dire.
Déjà, je ne veux pas que l’on me voit morte. Je veux que les gens gardent un souvenir de moi debout, bien. Souriante. Je ne veux pas que l’on pleure à mon enterrement. Pour l’entrée de mon cercueil à l’église je veux entendre “”Gigi l’Amoroso de Dalida, et que l’assistance se dise “ça, c’est Maria ! Elle est exceptionnelle, jusqu’à la fin, elle va nous faire rire”. Et en sortant je veux cette chanson que maman adorait “Bella Ciao!”
Tout cela, je n’ai pu l’évoquer qu’avec mon fils. Donc, comme James a entendu je ne me sens pas obligée d’écrire mes dernières volontés.
La chimio, s’est très très bien passée, j’ai bien réagit, je suis en confiance puisque chaque bilan s’est avéré positif, notamment le dernier.
Je me sens bien. Je me sens heureuse. Je profite de ma famille à fond, de tout ce que j’aime à fond… pour moi, c’est une deuxième vie.
Je lui fais remarquer que le dernier bilan étant bien plus que positif, je lui demande si il y a quand même urgence à faire certaines choses, étant donné que son temps semble s’être prolongé?
“Je suis réaliste” me répond-elle, l’oncologue a été clair : il n’y aura pas de guérison. Sauf qu’il m’a donné un petit espoir en me disant qu’il avait déjà rencontré une personne comme moi, dans mon état général.
“Normalement, les patients dans votre état arrivent à quatres pattes en hurlant de douleur. Vous, ce n’est pas le cas. Et je n’en ai connu qu’un comme vous, et 7 ans plus tard n’avait plus rien.”
Là, j’ai vraiment repris confiance, et j’ai dit au médecin “Je serai la deuxième. Retenez bien mon nom docteur: c’est Rosati”
Evidemment il me le souhaite de tout coeur. Ce que je sais aussi, c’est que par rapport à d’autres malades qui ont cette même pathologie, ils ont tenu 3 mois de chimio, moi, j’en suis à 7 sans gros problèmes. Juste ici dernièrement, une allergie provoquée par l’accumulation de produits. Mais dès le début, je me suis conditionnée : Tu ne seras pas malade, tu vas te battre et ça va aller. Je te l’ai dit au début, j’ai été 2 personnes, Maria-Luisa la malade et Maria-Luisa soutien de la malade et celle-là, n’est pas malade. Quelque part, la maladie, je l’oublie… Je suis la malade le temps de la chimio, et le reste du temps, je me lève et je suis partie ! Je fonce. Je me regarde dans le miroir et je m’aime ! Chose que je ne faisais pas avant.
Je fais du reiki qui m’apporte énormément, qui m’a fait prendre conscience qu’il fallait éliminer tout le négatif qui n’apporte rien de bon au fond… un fois éliminé tout ce négatif, on ne peut voir que la lumière. C’est par là que je veux aller et c’est par là que le chemin s’est tracé. Je sais que j’ai une mission… Je fais partie, comme je l’ai dit, d’un groupe de parole, dans lequel il y a des gens qui sont vraiment désespérés, et qui se préoccupent encore de ce que leur entourage vivent, ou pensent. Lorsque j’entend ça, j’ai la rage parce que nous n’avons plus le temps de nous arrêter sur ce que les autres pensent. Ou si nous n’allons pas décevoir… Non, c’est moi la locomotive, c’est moi qui suis devant. Et c’est ça que les malades doivent comprendre. Ils ne doivent plus s’inquiéter de faire plaisir à tel ou telle, le négatif, on le supprime.
Là, dans ce groupe de parole, parfois, lorsque j’entend ce que peut dire le psychologue, j’ai envie de le secouer ! Après 2 heures de parole, le psy reprend le postulat de départ comme conclusion et solution au problème!
C’est une blague?!
Evidemment ce qu’il me dit, c’est que des personnes avancent moins vite que moi ! Non, moi, j’ai appris que je n’avais plus le temps de m’arrêter à ce que les autres pensent ou veulent de moi ! Je pense à une femme qui est là avec moi, sa famille est à Bruxelles, personnes ne vient la voir. C’est elle qui se déplace pour aller leur rendre visite. Parfois, elle se lève à 16h parce qu’elle n’a pas de but sauf celui d’aller faire une chimio. Cette personne désire avoir un chien depuis très longtemps, mais se conforme à l’avis de cette famille qui lui déconseille d’en prendre un ! Donc, moi, ce que je lui dit à cette personne c’est: “Quand tu sors d’ici, va chercher ton chien ! C’est un truc positif pour toi ! Fonces, ne t’occupes pas de ce que les autres pensent !” Ce que je ne comprends pas c’est que les 2 psychologues ne l’encouragent pas à faire ce qu’elle veut… elle n’a plus le temps de réfléchir…parce que son temps, il est compté.
Moi, je ne m’occupe plus de personne. Ce que je veux, je le fais. Et c’est même ce que tout le monde devrait faire et ne surtout pas attendre d’être malade. C’est vrai que lorsqu’on travaille, on entre dans une routine, on pense au matériel. Mais il faudrait d’abord s’interroger sur ce que nous voulons, nous, exactement ? “A côté de quoi suis-je en train de passer ?”
Depuis que je suis de l’autre côté, je peux comprendre maintenant lorsque mes amis qui étaient malades, me disaient “Tu sais Maria, je m’en fous… ça, je passe au-dessus…”. Maintenant, je comprends. Le monde s’arrête et c’est une autre vie qui commence. Tu dois vivre avec “ça”.
Il est possible que je sois en rémission pendant des années, mais chaque fois que je ferai un bilan, j’aurai toujours cette crainte que cela ne recommence. Donc je ne vais plus m’occuper de ce qui ne me va pas. J’avance, je fonce.
Lorsque je lui suggère que ces bilans, plutôt que de craindre qu’ils n’annoncent une récidive, se dire juste qu’ils sont le moyens de vérifier que tout se passe bien, Maria-Luisa me dit que bien sûr ! Comme elle le fait depuis le début, chaque fois qu’il fallait aller voir les résultats, elle se conditionne à entendre un bon résultat, tout en se disant que si ce n’était pas très positif, ce ne serait pas grave, “on” allait y remédier…
Je pense positif, mais je suis préparée au négatif quand même. Mais plus je pense positif, et plus je l’attire. Et en me disant “ Je ne suis pas malade, je laisse faire le travail à la chimio, vas-y, je te laisse faire… mais surtout, ne me bat pas quoi ! C’est moi qui vais passer devant, parce que moi, je suis plus forte que toi”
Est-ce que c’est ça qui me fait avancer?
Je pense que oui. Parce que le positif apporte le positif et que tout problème a sa solution. Dit-elle encore.
Je ne vais pas dire que c’est un cadeau, parce que ce serait exagéré de dire ça, mais cette maladie m’a apporté beaucoup de chose positives. Pas au début parce que dès tu entends “tumeur” cela signifie vraiment “tu meurs”. Et puis je me dis “mais non!” Parce que j’ai eu l’exemple de cette personne que j’ai rencontré sur mon chemin, qui était aussi condamnée, et 13 ans plus tard, elle est encore là. Et elle se bat, et avec le sourire… Oh ben parfois, ça revient un petit peu, elle refait une chimio ou deux, et c’est reparti pour quelques mois, et pendant ce temps là, elle profite de ses enfants, elle fête Noël, les anniversaires de ses petits-enfants… Elle a un cadeau, du temps. Et je me dis que c’est possible pour moi aussi.
Et j’ai rencontré d’autres personnes comme ça qui m’ont tiré vers le haut. D’ailleurs tous les gens qui viennent et qui commencent par “Oh la pauvre” je dis non ! “La pauvre de quoi ? Est-ce que j’ai une gueule de malade ?” Non, pas du tout. Et je vous promets que c’est vrai !
Donc ceux-là, je les remets tout de suite à leur place, je ne veux pas de pitié, pas ça! Je n’ai pas besoin de ça.
Je lui fait remarquer que ce n’est pas ce qu’elle inspire. Je lui demande si cette maladie a mis une saveur différente dans sa vie?
La réponse est nette, sans hésitation: “oui.”
Elle m’a apporté énormément… c’est fou hein de dire ça?! J’ai presque honte de dire ça… C’est une prise de conscience que la plupart des gens ne se permettent pas. La fragilité des choses, de l’existence. Cette maladie lui permet d’aller à l’essentiel, lui fait gagner du temps. Le temps est compté pour chacun de nous, mais elle, Maria-Luisa, a acquis ce savoir avec plus de certitude sur ce qui lui reste à faire. Sur ce qu’elle a vraiment envie de faire, de voir, d’accomplir. Et sur la façon dont elle va faire les choses dorénavant. Elle est d’accord avec moi, elle ne s’octroie plus de voeux pieux, elle est déterminée dans ce qu’elle veut faire, que ce soit un voyage, une acquisition, un cours pratique de couture ou de pâtisserie, et même de dessin. Elle fonce. Elle ne perd plus son temps à se poser 50 000 questions. Elle ne comprend pas non plus ses copines qui refusent de sortir parce que leur brushing n’est pas fait ! Ca la décoiffe littéralement. “Quoi, ta vie s’arrête parce que tes cheveux ne sont pas fait ?” Parce que chez ces personnes là aussi on peut venir frapper à la porte et dire “hé ho, tu vois toutes ces bêtises avec lesquelles tu perds du temps…c’est fini tout ça. Là, ou tu fonces, ou tu restes sur place, tu t’écroules, et c’est fini.”
Et l’entourage fait beaucoup, me dit-elle. Si l’entourage est positif, tu ne peux qu’avancer.
“C’est quelque chose de fort aussi les amis. C’est à ce moment là que tu reconnais tes vrais amis, et crois moi, au bout d’un moment tu n’en a plus beaucoup hein…tu arrives à les compter sur les doigts d’une main.”
A la question de savoir si son mari Tomaso, qui semble avoir eu raison depuis le début – puisque tous les résultats vont vers une issue favorable – arrive à en parler maintenant que l’urgence s’éloigne ?
Non, Toma ne veut rien entendre. Il affirme que sa femme va encore profiter de la vie encore quelques années. “Nous allons y arriver.” Répète-t-il “Chaque fois que je reviens sur terre, et qu’il m’est difficile de me projeter dans les années, maintenant je vis plutôt au jour le jour… Lui, il est plus sûr que moi.”
Peut-être parce que ce dernier bilan date de quelques dizaines de jours ?
Parce que 9 mois à se vivre à un stade très avancé d’un cancer du pancréas n’autorise peut-être pas la projection à long terme?
J’ai eu du mal à accepter la réalité. D’abord, je vais te le dire, je ne pensais pas tenir aussi longtemps. Le verdict de ce diagnostic c’est 3, 6 ou 9 mois maximum. Mon fils me l’a bien expliqué au début. Là, mon fils ne parle plus comme ça, ce qu’il dit maintenant, c’est qu’il faut prendre au cas par cas. Certains partent au bout de 3 mois et d’autres survivent au delà de 20 ans… Du coup, maintenant, je suis beaucoup plus positive et je me permet de me projeter loin dans le temps. Mon mari a un projet de maison de vacances… au début bien entendu, je ne me voyais pas acheter la maison. En discutant avec une personne, elle m’a fait remarquer que je peux très bien mourir demain en traversant la rue que je sois malade ou pas ! Ce n’est pas parce que tu as cette maladie que tu es plus vulnérable que moi par exemple qui peux me faire tuer en traversant la rue ! Et toi aussi tu pourrais mourir sur la route plutôt que du cancer. Au fur et à mesure des mois, j’ai de plus en plus confiance en la médecine. Les chercheurs trouvent des nouveaux trucs tous les jours, donc je me dis que cette maladie va devenir chronique. Avant, on mourrait d’une grippe, puis sont arrivés les vaccins, bien sûr qu’on meurt encore de la grippe, mais dans des situations particulières et beaucoup moins ! Je reste persuadée que le cancer va se soigner comme une grippe. Un jour ou l’autre, les chercheurs vont trouver la molécule qui fera du cancer une maladie qui ne sera plus mortelle. Déjà à l’heure actuelle, on ne meurt plus forcément du cancer… Donc, j’ai repris confiance, je fais des projets parce que je me sens de mieux en mieux. J’ai eu peur lorsque le médecin m’a annoncé arrêter la chimio, je me suis “aï, aïe, aïe, c’est comme si on arrête la médication chez un hypertendu, ça ne va plus aller… je me suis sentie abandonnée, si on arrête la chimio, la maladie va revenir…”
“Mais, non, justement, si on a arrêté la chimio c’est parce qu’il n’y a plus rien à tuer. J’ai eu un peu de mal à accepter psychologiquement ce cap. J’aspire quand même le prochain bilan… Je sais qu’il sera bon.
Et comme ça, on se revoit et on écrira la suite de l’histoire…”
Le rendez-vous est pris. Maria-Luisa et moi reprendrons cette conversation et je vous raconterai ce qu’il s’est passé pendant ces deux mois.