Dans l’atelier du chapelier pas si fou, Elvis Pompilio
Recevoir comme cadeau d’anniversaire l’opportunité de rencontrer mon idole, Elvis Pompilio, en vrai, n’a pas de prix. Je m’émerveille depuis toujours devant ses chapeaux. Le résultat ? Une conversation à bâtons rompus avec un homme humble, passionné, terriblement imaginatif et quelque peu espiègle.
Une fois l’émotion (à peine) retombée de ce cadeau peu ordinaire, le rdv est fixé. Etonnamment, je reste calme jusqu’au moment de franchir la porte de l’atelier du modiste.
Je connais le travail d’Elvis Pompilio depuis ses débuts. Le premier chapeau que j’ai acheté c’était à l’occasion d’un mariage. La boutique d’Elvis était à l’époque à l’angle de la rue du Midi et de la rue Marché au Charbon à Bruxelles. J’étais étudiante et je passais régulièrement devant ses vitrines. Je me souviens que c’est lui en personne qui s’était occupé de moi. Tout est gravé dans ma mémoire. Jusqu’au choix de l’épingle à chapeau qu’il a ajoutée parce qu’il m’avait demandé quelle allait être ma tenue !
Nous y voilà. Le maître nous ouvre la porte de cet atelier où il reçoit désormais sur rdv uniquement. Je ne sais pas trop comment entrer en matière. J’ai potassé mon sujet certes, mais je ne suis pas vraiment journaliste !
Mon métier, à la base, c’est photographe. Cependant, j’ai désiré cette interview et demandé à notre rédac’chef de pouvoir la mener. Pas question de reculer. Il est temps de se jeter à l’eau, je me lance :
Comment collaborez-vous avec les célébrités ? Les stylistes ?
— Je crée, je prends des photos, ils ont sans doute une idée quand ils viennent me voir et, lorsque je leur soumets les projets, souvent, ils me disent qu’ils auraient aimé avoir eux-mêmes les idées que je leur pro-pose… Et ça colle vraiment avec le défilé. — Ce sont eux qui viennent vers vous ? — Je ne vais jamais vers personne. J’ai cette chance : les gens sont toujours venus vers moi. C’est essenteillement la presse qui, à mes débuts, m’a fait connaître. J’ai également organisé des événements et des défilés. J’ai été généreux dans ma façon de présenter les choses aussi. Et puis, mon travail a plu, beaucoup. — Donc, vous ne vous êtes pas adapté aux clients, fussent-ils célèbres ? — Jamais ! Si on s’adapte, on meurt. Si j’avais dû m’adapter il y a 30 ans, j’aurais dû concevoir des petits Borsalinos comme ci, des petits bibis à voilettes comme ça. J’ai fait des choses nouvelles. J’ai apporté de la modernité dans le chapeau, des choses souples, qui se transforment, que l’on peut mettre dans la poche. Des matières excep-tionnelles avec un côté moderne parce qu’il y a une main derrière, avec un souci du confort et de la qualité.
Vous travaillez vos modèles du début à la fin vous-même ?
— Je fais tout moi-même, même les formes, je suis un vrai modiste ! Sinon, ce serait comme si un créateur allait acheter un patron et le coupe pour coudre une robe. Il n’y aurait aucune création là-dedans, donc oui, je crée moi-même mes propres formes. Bien sûr, il y a la base, mais ensuite viennent les proportions, les volumes et tout le travail créatif…
Et votre inspiration, où la puisez-vous ?
— Partout. L’actualité, les vacances, les poubelles… une belle soirée, une mauvaise soirée… tout peut devenir source d’inspiration !
Donc, vous ne vous essoufflez jamais… ?
— Peut-être… je ne sais pas… Après, il y aussi des choses que je n’aime pas. Ce qu’il y a, c’est que je me sens libre. J’ai fait ce métier pour être libre. À partir du moment où je suis devenu prisonnier de mon métier, j’ai changé de cap, j’ai fait autre chose. Lorsque j’avais des boutiques partout, j’étais enchaîné, plus gestionnaire que créateur. Je l’ai fait cependant et à l’époque cela me convenait. J’aurais pu être frustré si je n’étais pas passé par là.
Si je n’avais pas eu ces boutiques dans le monde je ne serais peut-être pas devenu celui que je suis aujourd’hui. Autre chose également de très important dans mon parcours, ma boutique à Bruxelles. L’atelier au-dessus, la boutique en dessous. Les gens pouvaient avoir un chapeau en une demi-journée parfois… » Là, je me permets de lui raconter ma petite his-toire : que j’étais allée dans cette boutique, que sa vendeuse m’avait accueillie, m’avait montré des chapeaux jusqu’à ce qu’il passe le rideau, qu’il me demande pourquoi j’achetais un cha-peau. Et qu’il m’avait déniché exactement ce qu’il fallait avec cette fameuse épingle qui est toujours là où il l’a piquée il y a bientôt 25 ans… « C’est mon métier. Je fais ça depuis toujours, je suis très observateur. Pour moi, la tête est très importante. Un chapeau accompagne un visage, c’est comme une coiffure. Je travaille énormément, je vois beaucoup de monde… je ne peux pas me souvenir de tout le monde… » me dit-il presque désolé.
Evidemment que non, il ne peut pas se souvenir de moi, ce jour-là dans sa boutique. L’important c’est que moi, je m’en souvienne. Et je suis émue.
Et quand vous étiez petit, vous faisiez quoi ?
— Dès l’âge de 12 ans je savais ce que je voulais faire. J’ai fait 6 ans d’art plastique. Je n’ai pratiquement fait que ça. Je savais que j’étais très fort en dessin, je savais que je me desti-nais à un métier artistique. Je ne pensais pas à la mode forcément puisqu’il aurait fallu faire une école de stylisme, et ces écoles étaient à Bruxelles ou à Paris et puis, il fallait avoir les moyens. J’aimais aussi m’habiller moi-même. Quand j’étais petit, ma mère me tricotait des pulls, je lui demandais de me faire les pantalons de golf assortis, en maille et la casquette aussi. Vers l’âge de 7 ou 8 ans, j’avais déjà un goût précis et je savais ce que je voulais.
— Votre famille, vos parents, vous ont-ils toujours suivi ?
— J’ai toujours été très autonome, mes parents m’ont toujours laissé faire ce que je voulais. Je n’ai pas eu de comptes à rendre. Pas de contraintes.
— Vos vrais débuts, c’était quand au fond ?
— Je travaille le chapeau depuis au moins 34 ans. J’ai ouvert la boutique de Bruxelles en 1987. Cela fait juste 30 ans…
— J’ai lu que vous aviez été décoré de l’Ordre de Léopold II. Est-ce que ça change quelque chose dans la manière de travailler ce genre de médaille ?
— Oui, c’est vrai ! Toute reconnaissance est importante. D’autant que je n’ai rien demandé, je n’ai pas écrit de lettre, je n’ai rien fait dans ce sens, c’est une vraie récompense mais rien ne change dans ma façon de travailler.
Cette médaille, Elvis Pompilio la doit à son mérite, son travail et son aura. Loin de se reposer sur ses lauriers (au sens propre pour le coup), Mr. Pompilio continue de travailler comme il l’a toujours fait, que ce soit pour moi, pour la reine, pour la chanteuse célèbre ou l’écrivaine renommée.
—Est-ce que tout ce monde vient chez vous ?
— Oui
— Donc, vous accueillez tout le monde ici, comme vous le faites aujourd’hui avec nous ?
— Oui ! Avec tout ça (il nous montre son désordre) et je lui rétorque « C’est génial, ne changez rien ! Ce n’est pas du désordre, c’est de la création.» Est-ce que vous ne reviendrez pas un jour dans une boutique ?
— Je n’en sais rien
— Et vos autres magasins, vous les avez tous fermés ou avez-vous gardé quelques enseignes ?
— Je ne vends plus qu’ici. Il reste quelques corners par ci par là, chez des amis. Ils ont tellement insisté pour garder quelques cha-peaux, mais c’est anecdotique. La maison principale, c’est ici. Ce qui me fait penser que c’est donc plus précieux…
Est-ce plus tranquille de collaborer avec d’autres créateurs ou de vendre vos créations dans une boutique, sans autre forme de contrainte ?
— Ce qui est bien, c’est la diversité. Lorsque je travaille avec quelqu’un, je dois faire un effort supplémentaire. Pour mes propres collections, c’est beaucoup plus fluide, plus facile, je ne fais que ce dont j’ai envie. Dans les collaborations, il y a des contraintes donc c’est parfois un peu plus dur mais elles sont essentielles car j’en retire beaucoup de choses. Un point essentiel, c’est que je signe toutes mes collaborations sauf quelques rares exceptions comme par exemple avec Chanel où mon nom n’apparaît pas.
— Mais on reconnaît votre fantaisie !
— J’espère !
— Lorsque l’on voit la photo de Madonna avec son chapeau de cow-boy, on sait que c’est un de vos chapeaux ! Votre patte se reconnaît pour peu qu’on connaisse votre travail.
— Il y a beaucoup gens qui s’inspirent aussi du travail des autres…
— C’est un peu la rançon de la gloire lorsque vous inspirez les autres, nous n’allons pas dire « copier ».
— C’est vrai… Les modèles d’Elvis Pompilio ne sont tellement pas à la mode qu’ils deviennent intemporels.
On les reconnaît parce qu’ils sont dingues ! Dingues et géniaux. Ils se portent chaque jour, à n’importe quelle occasion, par tous les temps.
Vous venez de fêter vos 30 ans de métier. Est-ce toujours la même chose aujourd’hui qu’hier ?
— Non. Je fais autre chose. Mon travail est plus intimiste. Artistique. Comme par exemple cette installation dans le cadre de l’exposition « Bruxelles Universelle » pour les 10 ans de la Centrale Électrique en compagnie d’autres artistes belges et qui a été visible dans la vitrine du centre Wallonie-Bruxelles à Paris. Je collabore également pour des fêtes par exemple. Je fais toujours beaucoup de choses différentes. Toujours dans le même métier mais en explorant diverses branches, tantôt plus amusantes, tantôt plus rigoureuses. Il faut pouvoir réagir et parfois pouvoir dire non. Prendre de grandes décisions. J’ai le sentiment d’avoir pris, chaque fois, la bonne décision.
Maintenant, nous sommes plus dans le prêt à jeter, donc le prix et la qualité sont moins importants.
Ça a beaucoup changé en 20 ans. Les gens maintenant achètent pour 5 €, portent 1 fois et puis jettent. Il faudrait éduquer les gens à acheter des choses qu’ils aiment vraiment et qui durent.
On parle de pollution, mais l’industrie textile, c’est ce qui pollue le plus. Les voyages, les avions, pareil… ce sont des choses qui occupent la tête… dit-il, songeur.
Le prêt à jeter c’est vraiment un problème. Il ne faut pas non plus avoir de grands moyens. Lorsque j’étais petit, mes parents avaient peu de moyens. En début d’année, nous achetions 2 tenues pour l’école. Des tenues de qualité. À l’époque, le prêt-à-por-ter existait à peine, le manteau se faisait sur mesure chez un tailleur. On gardait nos vête-ments longtemps. Ce sont des choses qui n’existent plus, que l’on a oubliées. Maintenant, avec toutes ces chaînes qui vous vendent des vêtements à 3 €, 5 €…
je ne dis pas que c’est mal, mais c’est copié de choses bien. On veut être bien habillé de pied en cap pour 20 €. C’est bien pour les gens. Mais c’est un souci… j’ai un souci avec ça… c’est fabriqué par qui croyez-vous ? Tout le problème est là. L’industrie textile de masse et ses dérives.
Je découvre alors que pour Elvis Pompilio, ces questions aussi sont importantes. Je découvre un homme soucieux des autres et de son environnement. Une facette que je n’avais pas envisagée avant cette entrevue. S’ensuit une conversation à bâtons rompus sur ce cercle vicieux des productions confiées en Chine, en Inde pour un coût de revient moindre pour pouvoir vendre à bas prix.
« L’Europe produit trop cher, et donc les jeunes créateurs n’ont parfois pas d’autres alternatives s’ils veulent vendre des créations… C’est pour cela que je suis convaincu d’être dans le bon. Ce que j’ai là – il montre son atelier – c’est une perle. J’ai aussi le respect des gens ! Parce que j’aurais pu le faire : avoir une boutique et faire produire ailleurs. À l’époque où nous étions 40, deux choix se sont posés à moi : soit je passais à une production industrielle, soit je revenais à un format plus artisanal. J’ai préféré la deuxième solution. J’aurais pu avec mon expérience, faire des collections commer-ciales, je sais ce que les gens veulent mais au fond de moi, ce n’est pas vers là que je souhaitais continuer. »
Et nous sommes d’accord sur un autre point : Elvis Pompilio y aurait perdu son âme. Son humilité me touche et je m’entends lui dire : « vous avez l’humilité des gens vrament doués».
— Vous savez, les deux marchent : les gens doués qui restent humble, ça marche, et les gens qui ne sont pas doués mais qui en veulent et qui ont beaucoup de bagou, parfois, ça marche aussi, même sans talent… J’en connais. L’important, c’est le parcours. »
Arrivez-vous encore à vous amuser ?
— Oh oui ! Financièrement, je pourrais arrêter. Je travaille pour m’amuser.
— Ça vous libère de cette contrainte au moins…
— Ça ne change rien pour moi… L’argent n’a jamais été important ! Je n’ai pas fait tout cela pour l’argent, ce n’est pas un moteur. Parfois, j’avoue, j’aimerais être libéré de cette passion débordante. Cette liberté là, je ne l’ai pas ! Vous savez, la passion, c’est dévorant. Je suis toujours là, à observer, à regarder, à analyser, penser
à ce que je pourrais faire avec cette chose bizarre que je viens de voir… Mon esprit est sans cesse en ébullition et, dès poussée la porte de l’atelier, je fais des essais.
C’est quoi une journée type pour vous ? Que faites-vous le matin après le café ?
— Je n’ai pas de journée type. Je ne commence jamais tôt, plutôt vers 11h et je peux très bien travailler toute une journée. Je n’ai pas de journée type parce que mon travail est très varié. Il m’arrive de travailler plusieurs jours sur un chapeau parce que j’ai une production, les chapeaux partent partout dans le monde pour un défilé, ensuite ils sont vendus en show-room (Elvis Pompilio fait toute la production seul, dans son atelier).
— Ça vous nourrit encore de tout faire vous-même ?
— Bon, la production, ça m’embête un peu mais il faut le faire. Parfois, je demande à une cousine de venir m’aider pour des choses en série. Je suis professeur à la Cambre aussi, je donne cours en Master Accessoire.
— Est-ce que cela vous plait de transmettre votre savoir-faire ?
— C’est bien. Les jeunes sont parfois énervants parce que pas assez volontaires. Je dois être trop passionné… je ne sais pas… mais c’est bien ! Ils sont plutôt lents et moi très rapide. Je crains un peu pour leur futur, parce que s’ils sont mous à l’entrée, ils ne seront pas durs à la fin. Il faut avoir de l’énergie, savoir ce que l’on veut ! Je ne sais pas ce qu’ils vont faire…»
— Des chapeaux mous !? (rires)
Vos origines italiennes vous influencent-elles ?
« Pas seulement. Mon inspiration vient de partout. J’ai pris le côté touche à tout de mes parents. Mon père pouvait faire un banc à partir d’un morceau de bois. Faire quelque chose à partir de rien, c’est l’héri-tage de mes parents. Mais je n’ai pas appris du fait d’être d’un endroit ou d’un autre. Je ne suis ni italien ni belge. Je ne veux faire de compliment ou d’affront à qui que ce soit. Je suis un Italien né en Belgique. C’est un mélange de choses beaucoup moins claires que ce que l’on ne pense. Je me considère comme un Européen. »
En voyant toutes ses créations étalées sur le sol, nous lui demandons s’il travaille par terre.
Il expose par terre. Ces chapeaux attendent la visite de Charles Kaisin qui vient ici choisir les couvre-chefs pour son prochain dîner surréaliste.
Nous assistons donc à cette séance de travail de deux créateurs belges qui ont chacun atteint l’excellence dans leurs domaines. Charles Kaisin passe la porte de l’atelier. Il parle vite, salue à peine parce qu’il a vu les chapeaux, qu’il a peu de temps et qu’il doit être à l’autre bout de la ville assez rapidement.
Il est accompagné de Linda Van Waesberge. Elle a l’œil à tout, pense à tout. Charles Kaisin virevolte, choisit, se penche, prend et soumet son choix à la pétillante Linda.
« Celui-ci sera pour Kate (Moss) si elle vient… » dit-elle.
C’est un autre monde. Celui des magazines mondains de papier glacé.
Elvis Pompilio est attentif à tous les commentaires, presque effacé. Lorsque Charles Kaisin suggère, il écoute. Cela dure 20 minutes tout au plus, ce trio bouge dans l’atelier comme mu par une chorégraphie dont nous ignorons tout. Nous sommes là, observant la danse avec bonheur. Linda va jusqu’à déposer des chapeaux sur nos têtes pour voir ce que cela donne. Nous avons l’opportunité de voir et d’essayer les nouveautés de la saison automne/hiver.
De pures merveilles. Nous allons jusqu’à donner notre avis. Les modèles sont magnifiques : il y du feutre, du fil de fer, de vrais cheveux, des chapeaux très aériens, d’autres qui tiennent plus du calot que du chapeau à proprement parler ! C’est un balai coloré de formes et de matières.
Charles Kaisin part comme il est arrivé : en homme pressé. Sa sélection est déjà dans une boîte, prête à être expédiée.
Nous ne saurons pas si Kate (Moss) est venue à ce dîner, ni de quel chapeau Kristin (Scott-Thomas) aura été coiffée… mais nous avons eu le bonheur de voir à l’œuvre 2 génies créatifs. Elvis Pompilio nous accorde encore un peu de son temps, nous pouvons prendre quelques photos et nous nous disons au revoir. Il me reste en mémoire une entrevue avec un créateur généreux. Qui a pris du temps pour nous.
J’avais lu des choses le concernant certes, mais discuter comme cela dans cet atelier, la fenêtre ouverte sur le boulevard bruxellois, voir toutes ces créations, en reconnaître d’autres devenues déjà iconiques a été un moment très intense. Ce que je retiens de cette après-midi ? Elvis Pompilio est un artisan dans l’accepttion la plus noble du terme. Et un citoyen du monde inquiet. Merci Monsieur de nous avoir consacré ce temps.
Elvis Pompilio
Avenue Louise, 437 – 1050 Bruxelles
T. Atelier : +32 2 512 85 88 – T. 0475 69 75 69
www.elvispompilio.com