Lionel Jadot, l’upcycling comme terrain de jeu
Lionel Jadot est l’une des pointures de la jeune décoration belge. On lui doit dernièrement le Jam Hôtel et le glacier Gaston à Bruxelles. Mais Lionel Jadot, c’est plus que cela. Il est architecte d’intérieur, soit, mais aussi artiste, designer, cinéaste, aventurier. Et de préférence, tout à la fois. Il aime définir sa pratique comme un “Mixed Grill”. Simplement parce que toutes ces disciplines mijotent et mitonnent dans son atelier bruxellois, ses carnets de croquis étant le grill sur lequel se cuisent à feu doux toutes ses inspirations encore “crues”.
De ses carnets naissent des assemblages sculpturaux, souvent basés sur une philosophie du recyclage. Une armoire à linge traditionnelle qu’il recouvre de roofing. Une tapisserie ancienne qu’il survole d’emblèmes de moto. Un tronc qui devient le châssis d’une vraie moto. Un fauteuil sculptural qu’il crée à partir d’un siège de camion récupéré de son père et de quelques profils de chaise. Il détourne “des lampes de pupitre de musicien devenues arbre en laiton, et un orchestre vous éclaire“. Brut, authentique, libre : de son plaisir de créer jaillit sa conception vraiment singulière du design.

LJ1, Blue Tie Roofing, Lionel Jadot. © Serge Anton Une armoire du XVIIIe siècle en palissandre, d’origine hollandaise habillée d’une marqueterie de Roofing de toiture à l’extérieur et d’un habillage concave/convexe d’écailles de papier Arche bleu profonds et Feuille d’Or 24 carats à l’intérieur.
Lionel Jadot fait feu de tout bois. “Je ne jette rien, je ramasse. Je n’ai pas la main verte, je tente des boutures, des mariages contre nature. Je n’oublie jamais une ligne.”
Pour Lionel Jadot, tout est objet, tout est histoire. Il puise dans d’autres lieux, d’autres temps et cherche ce qui les attache. Il coud, découd, recoud, marie les matières, conjugue les époques. Il s’amuse. Enchâsse un bois dans un métal, du minéral dans du végétal, du vieux dans du neuf. “Je soigne la jointure entre deux matériaux“. Chez lui, il y a du jeu, comme dans une pièce de machinerie. D’un règne à l’autre, il provoque des excroissances organiques, virales, génératrices d’énergie.
Upcycling
Lionel Jadot naît -façon de parler- dans l’atelier de ses parents. Il est de la 6e génération des Vanhamme, fondateurs d’une société belge de fauteuils garnis de luxe créée en 1895. Enfant, il se faufile déjà entre les menuisiers, tapissiers et couturières de l’atelier. Lorsqu’il demande à fabriquer une chaise, son père laisse le petit Lionel bricoler seul. À 6 ans, il assemble de vieilles planches trouvées dans l’atelier pour réaliser son premier meuble. Et lorsque sa mère décède, il se retrouve brusquement à 18 ans à la tête de l’atelier et de ses 35 artisans.
Il apprend tout sur le terrain : du montage des fauteuils à la livraison du mobilier. Mais il apprend aussi à limiter au maximum les pertes de matériaux. À n’en pas douter, sa philosophie de l’upcycling et sa passion pour le bespoke craftmanship (traduisez par “artisanat sur mesure”) trouvent leurs origines chez Vanhamme.

LJ13, Primal wheels, Lionel Jado. © Serge Anton. Une moto recréée à partir d’une grande branche d’arbre.
Autodidacte intrépide
Parallèlement à son travail chez Vanhamme, Lionel réalise petit à petit des aménagements intérieurs. Autodidacte rebelle, il attire rapidement l’attention et ouvre à 22 ans son propre studio. Un studio qui se spécialise d’abord dans les aménagements intérieurs, tant pour des habitations que pour des hôtels ou des restaurants. Après avoir engagé quelques architectes, Lionel conçoit également des projets d’exception de A à Z. De Bruxelles à Londres, de Genève à Bombay : il aménage chalets, cabanes, châteaux, manèges, hangars ou penthouses avec autant d’intrépidité.

LJ10, Tapestry Raw Textiles, Lionel Jadot. © Serge Anton Une tapisserie du XIXe au décor de village médiéval bucolique invite un dragon japonais constitué de vêtements recyclés.
L’approche de Lionel est anarchiste, instinctive et narrative : chaque projet part d’un scénario fictif qu’il improvise sur le chantier. Il nous raconte une histoire au travers de matériaux, d’objets et de volumes. Et quelle que soit l’ampleur du projet, Lionel ne craint jamais de se salir les mains. Dans chaque projet d’aménagement intérieur ou d’architecture, il imagine lui-même le travail sur mesure. Et s’il ne trouve pas en seconde main le mobilier ou l’éclairage approprié, il le crée lui-même dans son atelier, tout simplement. De préférence avec des matériaux trouvés ou des pièces recyclées. Mais toujours avec un souci extrême du détail et de l’artisanat. Jusqu’à 12 artisans travaillent parfois sur un détail architectural, une poignée de porte customisée, par exemple, ou une porte d’armoire sculpturale. Le résultat global est luxueux, ambitieux, un peu déjanté et surtout : sans précédent.
Pour aller plus loin : “Mixed Grill” Lionel Jadot – Textes Thijs Demeulemeester
aux éditions Laanoo